Archives quotidiennes :

Mon nouvel avatar depuis hier soir...

J’arrive …

Vous rappelez-vous Brel ?

Allons, Paris, tiens-toi bien …

Je cite de mémoire…

C’est un fait, souvent celle-ci défaille.

Se souviendra-t-on encore dans quinze ans de ce vendredi 13 sanglant ?

J’ai recommencé à fumer. Ça n’a rien à voir avec le choc provoqué par l’actualité. C’était pour me récompenser d’une petite rentrée d’argent.

Je venais de boucler un petit contrat de numérisation du fonds de Lux Éditeur. Transposer La Mentalité américaine, de Howard Zinn, de LaTeX à ePub. Tout s’était bien passé, même si quelques « mystères » eurent à être résolus. J’avais pu rendre le produit final cinq jours avant l’échéance (je m’étais donné du lest: avec la rédaction du mémoire et un stage en enseignement du français, il fallait).

Depuis deux jours j’avais pu me remettre à la rédaction du mémoire. Je suis à analyser les éléments de culture numérique dans La Science des lichens de Mahigan Lepage. C’est un roman, de l’autofiction, comme on dit. Ça se passe à Paris. Un étudiant québécois en rédaction de thèse, loge à Paris dans une chambre exiguë d’un édifice où avait déjà vécu Descartes.  Mais, là encore, ça n’a rien à voir. Si ce n’est que j’avais recommencé à fumer, parce que je m’étais acheté un paquet des cigarettes pour me récompenser d’avoir terminé ce petit contrat, et que ça m’amenait à prendre des petites pauses supplémentaires, sur le balcon arrière de notre appartement au troisième étage. Alors, j’ai le temps de réfléchir un peu à une autre manière de rendre les idées.

Hier au cours des attentats, j’ai suivi assidûment les évènements. J’ai relayé l’information via Twitter. Le Bataclan, c’était d’abord quinze morts ; puis, suite à l’assaut des forces spéciales, c’était 100 😦 J’étais sans voix… J’ai transmis le nombre (qui allait être revu à la baisse, puis qui regrimperait…) et j’ai ajouté à #attentatsParis le hashtag #100voix. Vous comprenez bien que je faisais aussi références aux voix perdues (et pas uniquement, par homophonie, à ma gorge nouée). Et ça ne comptait pas les presque trente autres victimes déjà dénombrées. Je n’ai pas beaucoup fumé pendant ce temps-là. J’étais branché sur itélé.fr (@itele) et ce n’est que lorsque ma femme est rentrée avec mon fils, et que celui-ci a demandé à voir Sam le Pompier, que je suis allé décanter un peu toutes ces émotions. Par la suite, j’ai remplacé mon avatar par une image de gargouille contemplant Paris la larme à l’œil réalisée par G. Duguay, un montréalais (voir-l’image complète au bas du billet). C’était pas que par solidarité, dans la mesure où je suis Français par ma mère. Alors, je suis encore plus réceptif à la douleur des Parisiens en ce lendemain d’assauts revendiqués par Daesh.

Et, justement, ce matin, avec la peine languissante qui découle de ce genre de drame accrochée au cœur,  je fumais une cigarette. Et on a beau dire, on a la sensibilité à fleur de peau, et les éléments naturels de l’environnement, même en ville, revêtent un caractère plus symbolique qu’à l’habitude. Je regardais le décor des arbres qui sont une source d’apaisement car ils sont grands et assez nombreux à dépasser le toit des triplex de mon secteur du Sud-Ouest de Montréal. Ainsi, j’ai vu deux oiseaux qui sont passés au dessus-de moi, filant contre le vent qui souffle légèrement de l’Ouest.  Comme ils étaient très haut, leurs silhouettes étaient noires, car ils contrastaient, en contre-jour, avec la blancheur teintée de gris luminescent des nuages qui recouvrent le ciel en ce samedi 14, qui nous apporte les prémices de l’hiver. Pour cette raison, puisque je ne décelais pas la couleur de leur plumage, je me suis demandé s’il s’agissait d’hirondelles ou de pigeons. La forme de leurs ailes (que je pouvais bien voir se découper, car ils fendaient le vent en planant) me faisait penser à celle des hirondelles. J’ai pris un cliché mentalement quand ils sont passés juste au-dessus de ma tête. J’ai comparé avec les images emmagasinées dans ma mémoire, et j’ai réalisé que j’avais des souvenirs de silhouettes de pigeons qui avaient la même forme. Vue leur taille j’ai compris que c’était bien des pigeons. Ça m’a fait penser que les pigeons, dans le fond, peuvent être aussi gracieux et délicats que des hirondelles. Et puis les deux sont réputés pour être des messagers. On dit qu’une hirondelle ne fait pas le printemps. Pourtant, lorsque les hirondelles volent bas, on dit que cela annonce la venue d’un orage. En général, je suis moi-même peu superstitieux. Par contre, il m’est arrivé de sentir avec une puissance étonnante que des coïncidences sont porteuses de sens. De manière analogue, je suis parfois ému à la vue de simples volatiles, ces cousins du monde animal qui partagent aussi une origine commune avec les dinosaures, les oiseaux. C’est injustifiable rationnellement, mais je suis porté à m’imaginer que leur passage, leur apparition dans mon champ de vision, n’est pas dénué de signification.

J’étais à me dire qu’ils allaient dans la direction opposée aux attentats, lorsqu’une feuille, attachée jusqu’alors à un arbre mince et effilé, plutôt chétif, proche du balcon des voisins de gauche, s’est détachée et, alors que le vent s’était apaisé, a chuté, sans virevoleter,  à plat, ralentissant sa descente. C’était probablement la dernière attachée à cet arbre peu fourni de toute façon, et dont je ne connais pas l’essence.

On oublie aussi souvent de s’informer de l’essence des choses.

J’ai alors senti le besoin de présenter cette sensation de flottement, exprimant la tristesse de ce jour, et l’impression que les éléments parlaient un langage qui n’était pas sans rapport avec l’épreuve qui secoue la population de l’Ile-de-France. Nous communions du sein des observations les plus banales avec ce qui se joue de plus dramatique sur d’autres continents.

Voilà, tous ces détours pour introduire ces trois vers, dédiés aux Parisiens, en particulier aux morts et aux blessés, ainsi qu’aux familles et aux amis des victimes de ces attentats meurtriers.

Le peuplier élève mon regard
Deux pigeons filent vers l’amont du fleuve
Une feuille rousse choit en silence

J’arrive…

Pourquoi ce titre?

Peut-être parce que je voudrais bien pouvoir voler à tire-d’ailes vers cette ville si estimée et que j’aime. Alors, il faudrait interpréter les paroles de Brel, moins comme l’expression d’un défi, que comme un cri d’encouragement : « Tiens-toi bien… » au sens de « Tiens-bon! ».

Si je me rappelle bien, c’est la fin du couplet de Brel que j’ai commencé à citer, en ouverture de ce second billet de Fractions. Mais il se peut que j’aie la mémoire courte, et/ou que je n’emploie pas les termes exacts. D’ailleurs, d’abord et avant tout, plutôt que de ‘fin’, il conviendrait peut-être mieux de parler de suite.

Mon nouvel avatar depuis hier soir...
Gargouille de Notre-Dame-de-Paris, versant une larme en contemplant Paris endeuillée, suite aux attentats du 13 novembre 2015.

Mais, quel rapport avec les oiseaux ? C’est que les oiseaux que j’ai vus, filaient vers l’Ouest, puisque le fleuve, c’est le Saint-Laurent. Ils semblaient donc fuir les violences. En même temps ils filaient contre le vent. C’est dire que le vent soufflait vers Paris. J’imagine que je me suis dit que si j’étais un oiseau, j’aurais aimé avoir eu plutôt le réflexe de profiter de cette impulsion pour me rapprocher des personnes dont la vie venait d’être chamboulée, ou carrément fauchée. J’avais donc l’envie de croire que nous ne sommes pas impuissants. Alors, « J’arrive » c’est aussi dire ce que les mots peuvent mieux faire que moi face à la mort de mes compatriotes. Exprimer un désir. Parisiens, mes amis et mes frères, j’aimerais être auprès de vous pour soigner vos plaies, vous réconforter, vous communiquer la chaleur de ma solidarité.

Excusez-moi, je dois m’arrêter là, je viens d’entendre un petit « Papa ! » fuser hors de la chambre donnant sur le corridor. C’est mon fils qui vient de se réveiller de sa sieste.
Allez…

« J’arrive ! »